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  • Photo du rédacteurRachael Godt

EL DORADO de Pierre Daymé


SHUT UP ISLAND


 

Lecture Performance d'El Dorado au Silencio, le 10 septembre 2019 • © 2019 Rachael Godt

Un grain annonciateur chahute le bateau qui emmène Catherine vers l’île de la mer Tyrrhénienne où, trente ans plus tôt, elle a séjourné avec Christian pour leur voyage de noces. Un impondérable a retenu Christian en France. Livrée à elle-même pendant cette attente qui s’éternise, Catherine jette un nouveau regard sur le cours de sa vie.


Comme une âme silencieuse en attente de métempsychose, avide de s’incarner dans le meilleur des corps possibles, elle entraperçoit des variantes d’elle-même au détour de lieux qu’elle reconnaît à peine. Une villa, qui autrefois a servi de décor à l’œuvre d’une romancière. Un chemin de la plage. Un cimetière. Un palace aux fenêtres en forme d’yeux prophylactiques, hanté et tombant en ruine. Une citadelle désertée. Forteresse vide.



Lecture Performance d'El Dorado au Silencio, le 10 septembre 2019 • © 2019 Rachael Godt

Le frisson que provoque El Dorado vient de ce que Pierre Daymé a une manière très personnelle de s’emparer de l’image de l’insularité pour filer la métaphore de l’enfermement en soi. « L’obstacle à surmonter n’était pas tant de faire parler une femme, que de faire parler une femme qui ne parle pas, commentait Pierre Daymé au Silencio, lors de la soirée-performance de lancement du roman. Je me suis rendu compte très vite que toutes mes idées à propos de Catherine ne correspondaient pas forcément aux siennes à l’égard d’elle-même. Elle n’a pas de recul sur ce qu’elle est ni sur son inscription sociologique. Je n’avais pas envie de transformer ce récit en un roman dogmatique sur la condition féminine, même si c’est une partie du sujet. Mais je n’avais pas envie de montrer comme cette femme était contrainte par son milieu, car ces réflexions, le personnage ne peut justement pas les avoir. Elle est née au début des années 1960, à une époque où l’on attendra d’elle qu’elle se trouve un bon mari et une situation sociale confortable. Dans ce modèle imposé, Catherine ne se retrouve pas, mais elle ne sait pas quoi s’imaginer d’autre. Et cela, c’est encore un autre enfermement. Pourtant, son imagination est débordante. Mais elle ne sait pas la mettre au service de sa vie. Or, je crois que solution à l’enfermement, c’est de mettre l’imagination au service de sa vie.»


À rebours du Shutter Island de Dennis Lehane, attaché à suivre la logique raisonnante du Marshal Teddy Daniels, Dorado est une composition pointilliste où l’impression sensorielle – chaleur accablante, faim de nourritures et de corps – compose les couleurs, tantôt vives, tantôt noyées, du récit. Malgré la difficulté de représenter littérairement l’aphasie quasi complète de l’héroïne, le charme opère. Dix-huit mois après Le Réconfort, son premier roman, Pierre Daymé s’affirme comme en écrivain du deuil. De tous les deuils, ceux qui enferment et ceux qui sauvent.


Roman • Fayard 2019 • Disponible en librairie (16 €) et en format EBook (10,99 €).

Un extrait d'El Dorado, lu par Ariane Ascaride

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